Camille Chastang

 

Wall drawing - Studio view, 2021

FR

Après une formation en Design Textile, Camille Chastang quitte les Arts Appliqués pour entrer aux Beaux Arts. À 26 ans, elle est diplômée de la Villa Arson à Nice. Forte de ces deux formations, elle tente de réconcilier et revendiquer dans son travail, un statut à parts égales entre arts décoratifs et beaux-arts. Ses dessins lui ont permis d’être publiée dans la revue Roven. Elle écrit également des textes à propos de son rapport au dessin, et a eu l’occasion d’en faire plusieurs lectures devant des étudiants lors de différents workshops.

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Beaucoup de premières fois ponctuent cette exposition de Camille Chastang à la galerie Double V de Marseille. Premier solo au sein de cet espace, mais aussi premières monstrations d’une partie plus intime du travail, portant sur la « bonne amie » de l’artiste. On traverse ainsi de grands formats de fleurs aux messages explicites pour qui connaît leur langage, puis on découvre des céramiques inédites sur des papiers-peints qui poursuivent les précédents travaux présentés à la Villa Arson, de Nice, ou au Drawing Factory, de Paris, avant de s’approcher de délicats portraits d’Héloïse. Ce qui nous semble parfois le plus simple, décoratif, voire anecdotique permet d’y glisser bien des messages…

Depuis le début de sa pratique, Camille Chastang aime dessiner et représenter des fleurs, ce sujet si faussement naïf. Ainsi, si l’on observe ses espèces, elles se déclinent en violettes, lavandes, iris, lys ou roses des chiens… de celles qui symbolisent l’amour homosexuel entre deux femmes. A partir du 19eme siècle, la tonalité pourpre va en effet progressivement devenir le symbole des luttes féminines. L’historienne Sarah Prager, spécialisée dans les questions LGBTQ+, ayant même relevé que les vers de la poétesse Sappho contenaient déjà de nombreuses références à cette couleur. D’autres l’analysent comme un emblème d’égalité puisque le violet se révèle un mélange de rose et de bleu, tout en étant moins mièvre et enfantin, ou moins dramatique que le rouge. Éclatant sur la feuille, la prenant dans son entièreté en laissant peu de place au blanc, la fleur de Camille Chastang se fait conquérante. Particulièrement dans les grands formats, elle impose sa superbe et nous confronte à ses feuilles aux évocations parfois clitoridiennes ou ces pistils aux connotations non moins érotiques. Les tonalités exultent, deviennent denses et affirmées, puis, de plus petits formats vont répondre aux délicats portraits dédiés à l’amoureuse, qui se nomme Héloïse. Avec sa « bonne amie », selon un langage référencé d’antan, elle s’est amusée à développer les coutumes de la peinture miniature, qui permettaient d’étayer des messages codés quand le male gaze était majoritaire. Après les mises en scène ou les poses en costume - où l’on imagine l’ensemble de jeux entraînés dans leur sillage - une dernière série, au cadrage plus resserré et réalisée uniquement au crayon, émerge. Comme s’il fallait se défaire du superflu, afin d’atteindre l’essence du personnage. Le trait pourra alors apparaître presque timide, de cette délicatesse un peu chevrotante que l’on éprouve devant l’être aimé, tout en donnant à l’artiste la possibilité d’alterner son geste, entre de grandes élancées de couleurs et des tracés plus mesurés de crayon.

Ces herbiers et portraits sont complétés - notamment par le médium de la céramique - de nœuds divers et de froufrous, car une exposition de Camille Chastang ne serait achevée sans ces délicieux déliés quelque peu surannés. Ils pourront nous évoquer les fanfreluches de Marie-Antoinette, mais aussi les périodes de Arts & Crafts ou de l’Art Nouveau que l’artiste a beaucoup regardé, comprenant que ce ayant trait au plaisir, à la souplesse ou à la sensualité avait vite été réfréné dans l’histoire de l’art. Parfois qualifiés de nouille ou de kitch, ces mouvements furent remplacés par une approche à nouveau plus droite et plus sérieuse… en un mot, plus masculine. Mais les femmes pouvaient toujours exister en représentant des fleurs… tout comme celles qui n’étaient pas autorisées à poursuivre des études pouvaient bien se consacrer à la botanique. Nul n’y craignait le moindre danger… Certaines, à l’exemple de Rosa Luxemburg, Mary Delany ou l’orientaliste Alexandra David Néel, réussirent à se faire un nom en tentant de s’imposer dans le monde par une vision organique, opposée à celle, mécanique, du pouvoir dominant, écrit Camille Chastang, dans son essai Fond-Forme « Au fond, la fleur ». Au cœur de ce texte, elle note que les scientifiques contrôlent la nature, pour en venir à la conclusion qu’aux hommes reviennent les outils, la maîtrise technique et la forme, puis aux femmes la matière, la nature et le fond. En se laissant happer par son plaisir du faire, et en refusant toute hiérarchie des genres et des styles, Camille Chastang octroie une large place à l’improvisation. Elle offre à la pratique du dessin, longtemps concédée aux rôles des épouses, une véritable expérience et une jouissance assumée. La surprise ne se délivre jamais dans son sujet, somme toute développé depuis des siècles, mais dans cet état lâché, exalté qui l’entraîne à figurer ses feuillages ondulants et sensuels, ses formes ondoyantes. Mais encore en mêlant les tonalités vives de l’aquarelle à l’eau, en s’échauffant dans cette humidité, en y apportant une allégresse qu’elle culpabilise parfois à ressentir devant son travail… avant de s’y replonger à nouveau !


Marie Maertens


EN

After studying Textile Design, Camille Chastang leaves the Applied Arts to study Fine Arts. At the age of 26, she graduated from the Villa Arson in Nice. With the strength of these two courses, she tries to reconcile and claim in her work, a status of equal parts between decorative arts and fine arts. Her drawings have allowed her to be published in the magazine Roven. She also writes texts about her relationship to drawing, and has had the opportunity to give several readings to students during various workshops.

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Camille Chastang’s exhibition at the Double V Gallery in Marseille is marked by numerous firsts. It is her first solo exhibition in this space but it is also the first revelation of a more intimate part of her oeuvre that deals with the artist’s “close friend”. We thus initially encounter large format images of flowers embedded with explicit messages for those who recognize their language; then we discover a series of new ceramics on wallpaper that are a continuation of earlier works presented at the Villa Arson in Nice and the Drawing Factory in Paris; and, finally, we reach the delicate portraits of Héloïse. What can sometimes appear to be utterly simple, just decorative, or even merely anecdotal can be used to convey a variety of messages...

Since the beginning of her artistic practice, Camille Chastang has enjoyed drawing and representing flowers, a subject that is deceptively naive. For, if we observe the biological species she embraces, they include violets, lavender, irises, lilies, and dog roses... species that have come to symbolize homosexual love between two women. From the 19th century onward, the purple tone gradually became a symbol of women’s struggles. The historian Sarah Prager, who specializes in LGBTQ+ issues, has even noted that ancient verses by the poet Sappho contained multiple references to this color. Others interpret it as an emblem of equality because purple is a mixture of pink and blue that loses the mawkish and infantile associations while also being less dramatic than red.

Bursting across the leaf, enveloping its entirety, leaving little room for white… the flower as imagined by Camille Chastang is all-conquering. Particularly in the large formats, she imposes her sublime perspective and confronts us with leaves that, at times, have clitoral evocations or pistils with similarly erotic connotations. The tones exult, they become dense and assertive. But then, there are the smaller formats that respond to the delicious portraits dedicated to the lover, Héloïse. With her “close friend”, to use a euphemism from yesteryear, she took great pleasure in developing her practice of miniature painting, a practice that long ago made it possible to impart coded messages at a time when the male gaze was in the majority. After this set of works with staged scenes or costumed poses – one can imagine the playfulness left in their wake – there emerges a final series, one with a tighter framing and executed only in pencil. As if it was necessary to get rid of the superfluous to reach the essence of the character. Here, the line appears almost timid, infused with the slightly shaky delicacy that one might feel in front of the loved one; but this medium also provides the artist with an opportunity to alternate between great bursts of color and the more measured lines of the pencil.

These vibrant greenhouses and miniature portrayals are completed with various knots and frills – mostly formed out of ceramics – because an exhibition of Camille Chastang’s work would not be complete without these subtle and intricate, if somewhat old-fashioned, creations. They can summon up the decorative trimmings of Marie-Antoinette’s dresses but also the Arts & Crafts movement or the Art Nouveau style that the artist studied closely, acutely aware that anything connected to pleasure, suppleness, or the sensory had been stifled throughout the history of art. At times described as cliché or kitschy, these movements were replaced by an approach that was straighter, more serious... in a word, more masculine. But women could still exist by representing flowers... just as those who were not allowed to pursue higher studies could dedicate themselves to botany. No one sensed the slightest danger... Some, like Rosa Luxemburg, Mary Delany, or the orientalist Alexandra David-Néel, succeeded in making a name for themselves by imposing their organic vision on the world, a vision that was opposed to the mechanical one of the dominant power, writes Camille Chastang in her essay Au fond, la fleur [At the foundation, the flower]. In this text, she notes that scientists control nature and she concludes that men have the tools, the technical mastery, and the form, while women have the material, the nature, and the depth. By letting herself get caught up in the pleasure of doing and by refusing any hierarchy of genres and styles, Camille Chastang creates room for improvisation. She instills the practice of drawing, which was long relegated to the realm of housewives, with a genuine experience and a fully embraced delight. The sense of surprise does not arise from her choice of subject, which has been elaborated upon for centuries, but, rather, from the unleashed, exalted state that leads her to depict its undulating and sensual foliage, its sinuous forms. And, also, from blending the lively tones of watercolors with water itself, from warming up amid this humidity, from the injection of immense joy that she sometimes guiltily feels when stepping back from her own work... and immediately before she plunges back into it!

Marie Maertens

Vue du stand Drawing Now Art Fair, 2024 - Double V Gallery @ Grégory Copitet

Vue d’exposition Vanille Fraise Pistache, 2023 - Double V Gallery @ Aurélien Mole