Maty Biayenda

Exhibition view, La Caresse des Coquettes, 2024, curated by Martha Kirszenbaum @ Romain Darnaud

[FR]

Née en Namibie en 1998 d’une mère française et d’un père congolais, Maty Biayenda a grandi à Angoulême (France). Passionnée par le dessin, elle a suivi des sessions de dessin d’après modèle vivant à l’École d’Art du Grand Angoulême de 2011 à 2016. Après avoir obtenu un baccalauréat littéraire et passé une année de préparation artistique aux Ateliers de Sèvres, elle a été diplômée en design textile et matériau de l’ENSAD Paris. Dans son travail, Maty s’inspire de son double héritage, explorant les identités multiples et l’existence basées sur ses expériences de vie en France. Elle examine les influences et les effacements de l’Afrique dans la culture et la sociologie européennes, utilisant des techniques mixtes : de la peinture et l’illustration à la photographie et aux textiles.

« Mon besoin de nouvelles représentations a été fortement influencé par l’histoire de l’art français ainsi que par des fragments de mon héritage congolais. Je mène des recherches en utilisant des archives, allant de photographies familiales à des documents sur l’histoire des Noirs, pour m’aider à créer mes propres récits à travers la peinture et la tapisserie. En tant que personne trans, je suis également grandement inspirée par les différentes formes de féminité et par ma propre expérience avec le genre et les identités intersectionnelles. »

Des reines de beauté du New York des années 1980 aux artistes transformistes caribéens des cabarets parisiens d’après- guerre comme Chez Madame Arthur, en passant par des fragments d’images de magazines glamour, et l’énigmatique Mary Jones, une figure scandaleuse du XIXe siècle. « Je voulais à la fois rendre hommage à ces personnages et questionner ma relation personnelle aux images qui existent d’eux, et ce que ces images me font ressentir en tant que personne trans et racisée. Je visais également à subvertir les aspects voyeuristes et théâtraux de certaines de ces images. »

Maty Biayenda utilise les langages textile et figuratif à travers des motifs historiques réinterprétés et revisités comme la « Toile de Jouy » ou la tapisserie « La Dame à la licorne », et des jeux de transparence qui révèlent et dissimulent des silhouettes, ainsi que divers médiums comme la peinture. Elle vise à créer un espace où une sorte de mythologie personnelle se déploie. Dans cet espace, icônes et inconnus se rencontrent et confrontent ses propres expériences de vie. C’est un voyage où fiction et réalité, imagination collective et individuelle se mêlent, à travers différentes temporalités et médiums.


[EN]

Born in Namibia in 1998 to a French mother and Congolese father, Maty Biayenda grew up in Angoulême (France). Passionate about drawing, she attended live drawing sessions at the École d’Art du Grand Angoulême from 2011 to 2016. After completing a literary baccalaureate and a year of art preparation at the Ateliers de Sèvres, she graduated in textile and material design from ENSAD Paris. In her work, Maty draws inspiration from her dual heritage, exploring multiple identities and existence based on her experiences growing up in France. She examines the influences and erasures of Africa in European culture and sociology, using mixed techniques: from painting and illustration to photography and textiles.

« My need for new representations has been strongly influenced by the history of French art as well as fragments of my Congolese heritage. I conduct research using archives, ranging from family photographs to documents on Black history, to help me create my own narratives using painting and tapestry. As a trans person, I am also greatly inspired by the different forms of femininity and my own experience with gender and intersectional identities. »

From beauty queens of 1980s New York to Caribbean transformist artists in post-war Parisian cabarets like Chez Madame Arthur, to fragments of images from glamour magazines, and the enigmatic Mary Jones, a scandalous figure from the 19th century. I wanted to both pay tribute to these characters and question my personal relationship to the images that exist of them, and what these images make me feel as a trans and racialized person. I also aimed to subvert the voyeuristic and theatrical aspects of some of these images.

Maty uses textile and figurative languages through reinterpreted and revisited historical patterns like ‘Toile de Jouy’ or ‘The Lady and the Unicorn’ tapestry, and plays of transparency that reveal and conceal silhouettes, as well as through various mediums such as painting. She aimed to create a space where a kind of personal mythology unfolds. In this space, icons and unknowns meet and confront my own life experiences. It is a journey where fiction and reality, collective and individual imagination blend, across different temporalities and mediums.

Exhibition view, La Caresse des Coquettes, 2024, curated by Martha Kirszenbaum @ Romain Darnaud

Exhibition view, La Caresse des Coquettes, 2024, curated by Martha Kirszenbaum @ Romain Darnaud

La Caresse des Coquettes

«La coquette ne vous caresse
Que pour alarmer la paresse
D'un rival qui n'est point jaloux. »

Marivaux, L’Amour et la Vérité, 1720.

Dans sa comédie en trois actes de 1720, intitulée L’Amour et la Vérité, Marivaux dissèque avec Ainesse et cruauté les relations entre maıt̂ res et esclaves au XVIIIe siècle, en opérant une mise en abyme des relations de pouvoir, du rapport dominant/dominé, de l’usage de la force et de l'autorité , et de la convoitise et du désir.

Mêlant peintures sur toile ou sur bois, œuvres sur papier, impressions sur mousseline, vidéos et installations, l’univers artistique de Maty Biayenda apparaît comme un kaléidoscope d’expérimentations esthétiques convoquant un ensemble de personnages, réels ou fictifs, et formant une déambulation enchanteresse entre imaginaire collectif et mémoire personnelle, où séduction et impertinence se jouent des codes sociaux, raciaux et de genre.

L’artiste explore et assemble, en premier lieu, des archives, tantô t personnelles comme ses propres photographies de famille, tantôt historiques comme des documents relatifs à l’histoire des Noirs ou encore des images glanées dans des magazines de mode. D’origine franco-congolaise, ses recherches sur l’objectivation et la libération des corps noirs féminins à travers le concept de fétichisme lui ont permis d’aborder la question des représentations transgenres racisées. Elle constitue ainsi une archive visuelle à partir d’images d’icônes de la nuit, toutes réunies autour de la notion d’identité transgenre et afro-descendante—des reines de beauté du New York des années 1980, aux artistes transformistes caraıb̈ éennes du cabaret parisien de l’après-guerre Chez Madame Arthur, en passant par des fragments d’images tiré es de magazines de charme. Pour sa vidéo New Archives (2023), elle juxtapose les images de ces queens avec celles de ses amies Ailmées avec candeur alors qu’elles racontent leurs dé boires amoureux ou leurs transitions.

Les figures fabuleuses auxquelles les travaux de Maty Biayenda font écho semblent tout droit sorties de Paris is Burning, film documentaire culte réalisé en 1990 par Jennie Livingston. Tourné entre le milieu et la fin des années 1980, ce dernier retrace la culture du voguing ball à New York et explore les communautés afro-américaines, latino- américaines, gays et transgenres qui y sont impliquées, formant un hommage poignant et sincère à la vibrante sous-culture new-yorkaise des drag queens et des transsexuels de cette époque. L’une des héroïnes du documentaire, Octavia Saint Laurent, prête d’ailleurs son visage à l’une des œuvres en mousseline de l’exposition, aux côtés de celui de Jenny Bel’Air, figure et icône transgenre de la nuit parisienne des années 1980. Ce jeu de transparence, de non-dits et de suggestions, mêlant visages et biographies d’inconnu.es ou d’icônes forgent une mythologie personnelle où ils se confrontent aux propres expériences de la vie de l’artiste.

Ce qui se niche au cœur de la pratique de Maty Biayenda est l’attention portée à la notion de communauté, à travers la volonté de l’artiste d’explorer et de dépeindre les liens qui nous unissent. Famille choisie ou sisterhood, les personnages qui habitent ses toiles sont inspirés de ses amies, capturées dans des activités du quotidien—discutant au téléphone, chevauchant une moto ou écoutant de la musique, et dont les expressions sont accentuées par des gestes évocateurs, des regards en coin, et des mimiques savamment orchestrées. Ces œuvres sont aussi le miroir d’une génération de jeunes femmes racisées, portrait rendu d’autant plus percutant par le minutieux travail pictural effectué sur les tons de peau. À travers le jeu de couches et sous-couches que lui permet la peinture, Maty Biayenda décline ainsi à l’infini une palette de bruns poudrés, de beiges dorés, de mauves violacés et de noirs bleutés, formant autant de composantes à une réflexion sur le colorisme, terme dérivé du racisme basé sur le ton de couleur de peau et forgé en 1983 par la militante afro-américaine Alice Walker.

Enfin, La Caresse des Coquettes offre l’expérience d’un voyage cinématographique nous donnant à voir deux mondes, celui, visible, du réel et celui, invisible mais palpable, de la Aiction. Un peu à la manière du Ailm Mulholland Drive, réalisé de David Lynch, auquel l’œuvre textile suspendue qui accueille les visiteurs dans l’espace fait implicitement référence, l’exposition nous propose de ne pas choisir entre l’un ou l’autre, mais nous suggère plutôt que l’on ne vit que deux fois, une vie pour nous-mêmes et une pour nos rê ves.

Martha Kirszenbaum

La Caresse des Coquettes

“The coquette offers us her caress merely to awaken the distress of a rival who betrays no jealousy.”

Marivaux, L’Amour et la Vérité, 1720.

In his 1720 three-act play L’ Amour et la Vérité [The Game of Love and Chance], the French playwright Pierre de Marivaux dissects the relationship between masters and slaves in the 18th century with finesse and cruelty while employing a mise en abyme of relationships of power between the dominant and the dominated, the exercise of force and authority, and the grip of lust and desire.

Combining paintings on canvas or wood, works on paper, prints on muslin, videos, and installations, Maty Biayenda deploys an artistic universe that resembles a kaleidoscope of aesthetic experiments. Her works conjure up a range of characters, both real and fictional, and form an enchanting journey between collective imagination and personal memory where seduction and impertinence play upon social, racial, and gender conventions.

As a first step in her process, the artist explores and assembles archives, sometimes intimate (her family photographs) and sometimes historical (documents relating to Black history or images gleaned from fashion magazines). The French-Congolese artist’s research into the objectification and liberation of black female bodies through deconstructions of the concept of fetishism has led her to address the issue of racialised transgender representations. One result of this approach is a visual archive that she has compiled based on images of iconic nightlife performers; taking shape around the notion of transgender and Afro-descendant identity, the archive ranges from the beauty queens of New York in the 1980s to the Caribbean transformist performers of the post-World War II Parisian cabaret Chez Madame Arthur to fragments of photographs taken from glamour magazines. For the artist’s video New Archives (2023), she juxtaposes images of these queens with those of her friends, who have been filmed in candid moments as they recount their romantic disappointments or their transitions.

The fabulous figures echoed in Maty Biayenda’s work seem to have emerged from Paris is Burning, the cult documentary by Jennie Livingston that was released in 1990. Using footage shot in the mid-to-late 1980s, the film traces New York’s voguing culture and explores the African American, Latin American, gay, and transgender communities involved in this scene. The result is a poignant and heartfelt tribute to the vibrant subculture of drag queens and transsexuals that existed in New York during that period. One of the documentary’s heroines, Octavia St. Laurent, lends her face to one of the muslin works in the exhibition, alongside that of Jenny Bel’Air, a transgender icon of Parisian nightlife in the 1980s. There is an interplay of transparency, unspoken words, and insinuations; the blend of faces and biographies of both strangers and icons ultimately forges a personal mythology that the artist confronts with her own life experiences.

At the heart of Maty Biayenda’s artistic practice is her emphasis on the notion of community as manifested through her desire to examine and depict the ties that bind people together. Whether a family by choice or a sisterhood, the characters who inhabit her canvases are inspired by her friends, who are captured in the midst of everyday activities — chatting on the phone, riding a motorcycle, or listening to music — and whose expressions are accentuated by evocative gestures, sidelong glances, and skilfully orchestrated expressions. These works also mirror a generation of young racialised women, creating portraits that are made even more striking by the meticulous pictorial work on skin tones. Through the interactions of the layers and sub-layers that painting allows, Maty Biayenda creates an infinite palette of powdery browns, golden beiges, purplish mauves, and bluish blacks that nurture a reflection on colourism, a term derived from racism based on skin tone that was coined in 1983 by the Afro-American author and activist Alice Walker.

In the end, the exhibition La Caresse des Coquettes [The Caress of Coquettes] offers observers the experience of a cinematic voyage that reveals two worlds: the visible world of reality and the invisible but palpable world of fiction. Rather like David Lynch’s film Mulholland Drive — which is implicitly evoked by the suspended textile work that welcomes visitors to the space — the exhibition suggests that we should not have to choose between one or the other, but that instead we only live twice, once for ourselves and once for our dreams.

Martha Kirszenbaum