Ugo Schiavi

Rudus, ruderis


Du 04 mai au 13 juillet 2018

Commissariat : Léo Marin

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Ugo_Schiavi_Double_V_Marseille

En voyant le grand nombre des députés à l'assemblée nationale de 1789, et tous les préjugés dont la plupart étaient remplis, on eût dit qu'ils ne les avaient détruits que pour les prendre, comme ces gens qui abattent un édifice pour s'approprier les décombres. 

Chamfort, Maximes et Pensées -

 

 

Rudus, Ruderis. En latin, signifie littéralement : Décombre-s. De nos jours on utilise plutôt ce mot en botanique : l’on qualifie de rudérale, une plante, qui croît parmi les décombres. C’est aussi dans notre cas le titre de l’exposition personnelle d’Ugo Schiavi à la Double V gallery pour ce Printemps de l’Art Contemporain 2018. Celle-ci s’attache dans bien des aspects, à faire une restitution archéologique d’un temps présent, dans une géo-localité concise, celle de Marseille.

Plus concrètement : en restant fidèle à sa pratique, l’artiste se concentre ici sur un territoire chargé d’histoire et nous livre une série d’œuvres définitivement contemporaines qui se font miroir d’une ville actuelle mais aussi écho d’un passé antique, avec des sculptures, à la fois, moulage du vivant et archives de l’antérieur…

Nous pourrions parler dans ce cas précis, de renouvellement romantique. Comme le mouvement culturel apparu à la fin du XVIIIè siècle en Angleterre et en Allemagne et qui se diffusa par la suite dans toute l’Europe en s’exprimant dans tous les styles artistiques, qui se caractérisait par la volonté des artistes à explorer l’art afin d’exprimer un état d’âme : une réaction du sentiment contre la raison, une exaltation du mystère, tout en cherchant l’évasion et le ravissement dans le rêve d’un temps passé. Avec son travail de sculpteur, Ugo Schiavi ne peut se cacher d’avoir un attrait tout particulier pour la magnificence de la grande sculpture celle qui orne désormais les villes et les musées.

 

C’est avec des procédés de moulage, où il demande à des modèles de poser sur des monuments ornés reconnaissable dans l’espace urbain, et avec des techniques à prises rapides, résolument actuelles, qu’il en ressort un moule, avec lequel il peut rendre compte à la fois du passé historique d’un lieu, de la superbe des statues qui ont été érigées à cet endroit pour le marquer d’un événement porteur de sens, ici bien plus qu’ailleurs, mais aussi un sentiment manifestement générationnel, qui se caractérise par « une nostalgie de l’avant ». Un romantisme du 21ème siècle.

Le traitement de la forme, proche de la ruine et du décombre, que donne Ugo aux tirages en béton qui découlent de ces moules, nous poussent à investiguer ces sculptures qui nous font face. Proviennent-elles réellement de décombres urbains ? D’autres artistes ne s’étant pas privés dans la pratique du glanage, c’est une question qui se pose jusqu’au moment où l’on se rend compte qu’une partie de ce fragment relève du vivant, de l’actuel non de l’accidentel.

C’est à cet instant que l’imaginaire s’enflamme et nous emporte contre la raison, vers des souvenirs mythologiques de créatures capable de pétrifier d’un seul regard, vers ces reportages sur les ruines de Pompéi et ses incontournables plâtre. Pourtant, l’acier de ces hypothétiques découvertes archéologiques s’avère être de la tige filetée qui articule les différents éléments et ce qui a pu nous sembler être de la pierre en mauvaise état est en tout état de cause, une ronde bosse[1] coulée en béton.

Tous ces fragments se retrouvent agencé en une scénographie immersive reprenant les codes des réserves de grands musées. La rangée d’étagères au mur ne fait que renforcer ce sentiment de trouvailles archéologiques, ressurgies d’un temps reculé. Tout est ici fait pour que le visiteur se sente presque, le découvreur d’une histoire perdue. Certaines sculptures sont même montrées dans des caisses de bois, premiers écrins de transport, ici conservée visible.

Même depuis la vitrine de l’exposition, nous sommes transportés à la limite du muséum d’histoire naturelle. Un certain nombre de plantes, d’éléments de végétations et de décombres parmi lesquels on peut entre-apercevoir des fragments, moulages d’éléments de l’atelier de l’artiste, nous transporte et nous ramènent le temps d’un souvenir lors de nos visites scolaires de ces musées qui nous montraient comment était la vie avant.

Ces plantes elles-mêmes, quintessence d’une démarche de l’artiste, qui va à la rencontre de celles-ci dans leur milieu naturel, un parking, un terrain vague, une extrémité de la ville sur laquelle il travaille sont prélevée directement de ces décombres. A la fois oubliées des botanistes et des touristes, ces végétaux se font l’exemple parfait de la situation face à laquelle veut nous confronter Ugo Schiavi : le beau de cet élément que nous ne regardons plus. Une plante rudérale qui s’acharne à continuer d’exister contre toutes attentes. Illustration directe du titre de son exposition.

Encore une fois, avec cette installation, l’on trébuche dans le stratagème de la nostalgie, pour mieux se rendre compte que les décombres proviennent de notre environnement quotidien, celui-là même que nous avons traversé pour venir découvrir cette exposition. A cela près que les fragments, moulages de béton sont des empreintes du lieu de travail de l’artiste et restent figés dans ce temps suspendu entre passé idéalisé et présent laissé à l’étude d’un futur hypothétique.

Ugo Schiavi est en réalité le concepteur de son propre diorama, un diorama qui, en puissance, ne s’attache pas seulement à montrer ses processus de travail mais aussi les événements récurrents, propre à ce présent que nous tous vivons subissons et construisons chaque jour.

 

C’est donc conscient de la splendeur révolue d’une époque qui le fascine, mais décidé d’y ajouter sa marque avec des techniques actuelles, tout en nous parlant du présent, qu’il nous fait doucement glisser dans le spleen du révolu pour nous ramener brutalement à une conscience aigüe d’un présent qui nous est quotidien et pourtant souvent délaissé. Ugo Schiavi, immanquablement, un nouveau romantique.

 

Léo Marin


  • [1] Type de sculpture (statue, groupe) développé dans les trois dimensions, au lieu d'être lié à un fond comme les reliefs.


 

Ugo Schiavi

Rudus, ruderis


«looking at the great number of deputy inside the national assembly in 1789, and to all the prejudices that they were having, we could have said that they were destroyed only to be taken easily, as those people who thorn apart a building just to put their hands on the rubble.» Chamfort, Maximes et Pensées

Rudus, Ruderis. Literally means in Latin: rubble. These days, we most often use this word in botanic. It is said “rudérale1” for a plant that grows amongst the rubble.
It is also in our case, the title of Ugo Schiavi’s new solo show at Double V gallery. It’s aim to do an archaeological restitution of the present time, in a precise geography, the geography of Marseille.

Meaning that: staying true to his previous work, the artist is focus on a territory full of History, and gives us to see, a series of work definitely contemporaneous. They can be considered as a reflection of an actual city but also, as an echo from an ancient past, with sculptures, moulds from the living and archives from the age-old.

We could talk in this precise case of a romantic renewal. As the romantic cultural movement that appeared at the end of the 18th century in England and Germany, and that went after that in all Europe, and express itself in all artistic styles. It was characterised by a will to express a state of mind: a feeling reaction against the reason, to enhance mystery while searching an escape in a dream of a finished time. Ugo Schiavi’s work shows an intimate affection for what we can call “the great sculpture”, the one that is now in museums and city ornamentation.

With specific mould procedures, Ugo ask models to pose on perfectly recognisable public monuments. With those new technics that allows him to mould faster, he is able to create a concrete sculpture that talks about the glory of a forgotten past on
a specific place, of the magnificent event that were commemorate by those great sculptures, and also this characterised feeling, held by a generation, that is convinced that “It was better before”. Sort of a 21st century romanticism.

The processing of the shape of these sculptures, close to ruin and rubble, willingly given by the artist, forces us to investigate them. Are they really coming from city rubbles? Other artists before him did not hesitate to glean. That is a question that we all have in mind until we realize that part of this sculpture comes not only from a, existing statue but also from a living model, from the current and not from the accidental.

It is a that precise time that imagination inflame itself, and takes us against our will toward mythological creatures, able to freeze people with only one look, toward Pompeii’s ruins, and the plaster mould of their now famous cursed lovers. However,

the iron around, or coming out from those sculptures, turns out to be threaded rod, and what seemed to be old stones at the time is in fact a sculpture mould in concrete. All those pieces are taking part in an immersive scenography which re-enact the codes of natural history museums. The raw of shelves on the wall not only reinforce this feeling but allows us to believe that these sculptures are actual archaeological discoveries, brought back from ancient times. All here is made so that the viewer can fool himself into believing that he is the discoverer of a lost story. Some sculptures are shown in wooden crates, first boxes of transport, here preserved visible.

Even from the showcase, we are transported at the edge of the historical / botanic museum. Numerous plants, fragments of vegetation and more rumbles among witch we can perceive specific parts, mould from the landscape of the artist studio. All this leading us back, the time of a memory, during our school visits to these museums that showed us how was life before.

Those plants themselves, quintessence of an approach of the artist, who goes directly to confront them in their natural environment: a parking lot, an abandoned field, the edge of the town he is working on, are extracted right from where they are, out of the rubbles. Both forgotten by the botanists and the tourists, these plants are the perfect example in front of which Ugo Schiavi wants us to be confronted: the beautiful that still exist in those elements that we do not look anymore. A ruderal plant that persist in continuing to grow against all expectations. Direct illustration of the exhibition title.

Once again, with this installation, we stumble into the ploy of nostalgia, for a better understanding that the rubble comes from our daily environment, the very one we crosses to come to discover this exhibition. Except that the fragments, concrete mould, prints from the artist’s studio are petrified in that suspended time between idealised past and a present left to the study of a hypothetical future.

Ugo Schiavi is in fact the architect of his own diorama, one in which, not only show the process of his work but one that shows the events that we live, endure or creating each day.

It is therefore aware of the splendor of a bygone era that fascinates him, but decided to add his mark with current techniques, while talking about the present, that he makes us gently slip into the spleen of a left behind past, to bring us back abruptly, to an acute awareness of a present that exist every day and yet often neglected.

Ugo Schiavi, inevitably, a new romantic.

Leo Marin